15 mars 2014 - Conseil de sécurité - Ukraine - Explication de vote de M. Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations unies

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"La Russie vient d’opposer son véto à la Charte des Nations Unies" - Explication de vote de M. Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations unies, à l’issue du vote du Conseil de sécurité sur la résolution sur l’Ukraine


New York - 15 mars 2014 - UN photo



Madame la Présidente,

C’est avec un sentiment d’incrédulité que nous nous retrouvons aujourd’hui.

Incrédulité devant le scénario qu’a développé sous nos yeux, avec détermination, la Fédération de Russie pour annexer la Crimée.

Rien n’y a manqué de ce que nous espérions reléguer au magasin des accessoires de l’histoire, les manœuvres militaires aux frontières, l’homme de main hier ignoré et soudain consacré président de la Crimée, l’occupation niée contre toute évidence, les torrents de propagande et maintenant la mascarade d’un référendum non seulement illégal, non seulement bâclé, non seulement sans campagne électorale mais réduit au choix entre deux oui. Les Criméens ne pourront même pas se prononcer.

Et la violation du droit international est à ce point patente qu’on éprouve presque de la pitié à voir la diplomatie russe si formaliste, si tatillonne dans son respect des formes et son invocation des textes se débattre pour trouver une base juridique au coup de force. Un jour, on agite une prétendue lettre du chef d’Etat en fuite, d’ailleurs diffusée dans une version non signée, lettre disparue aussi vite qu’apparue ; le lendemain, on rappelle le Kossovo et enfin, sans doute après de fiévreuses recherches dans les archives, on en vient même à exhumer une question de décolonisation de 1976, la question de Mayotte. On est à ce point prêt à faire flèche de tout bois à Moscou qu’on ne veut pas voir que, dans ce dernier cas, la Russie ayant alors pris la position inverse de celle d’aujourd’hui, ce parallèle douteux, même si on le suit, prouve que la Russie se trompe dans un des deux cas, en 1976 ou en 2014. Elle doit choisir.

Je pense toutefois que mon collègue russe et moi-même nous retrouverons sur une phrase essentielle du discours du représentant permanent soviétique en 1975 sur la question de Mayotte qui disait : « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ».

En réalité, de ces efforts pathétiques, il ne sort rien ; pas le commencement d’un raisonnement juridique. Le veto opposé à un texte qui n’est qu’un rappel des principes fondamentaux du droit international et de la Charte des Nations Unies en est la preuve éclatante. Les titres de la presse peuvent être simples : la Russie vient d’opposer son véto à la Charte des Nations Unies.

Alors, en désespoir de cause, Moscou invoque le prétexte de la protection des Russes qui seraient menacés. On appréciera, j’en suis sûr, dans les pays voisins, hôtes de minorités russes, ce droit d’ingérence que s’arroge soudain la Russie. Mais là aussi, pas de chance : pas la moindre violence, comme l’observent les journalistes et comme le relève le Commissaire de l’OSCE et pas la moindre trace, nous confirme le HCR, des centaines de milliers de réfugiés qu’on nous annonçait. Où sont-ils passés ? Ne nous inquiétons pas ; ils n’ont jamais existé.

Le droit absent, les violences inexistantes, on en vient à l’histoire : la Crimée a été russe de 1783 à 1954. Et alors ? Allons-nous reprendre nos livres d’histoire pour examiner nos frontières, les contester ou les défendre ? A quelle date allons-nous arrêter ? Après tout, la Crimée a été, 170 ans, russe mais, trois siècles, vassale de la Turquie. Nous ne le savons que trop : on peut tout justifier par l’histoire, particulièrement l’injustifiable.

De cette agitation brouillonne, de ces discours démentis aussitôt que prononcés, de ces raisonnements oubliés aussitôt qu’élaborés, il ne reste que la force. Au fond, les choses sont simples : la force prime le droit, nous dit aujourd’hui le véto russe.

Et bien, non. Mesdames, messieurs.

La force ne peut pas primer le droit. Ce serait trop grave, trop dangereux pour chaque Etat-membre. A la brutalité des relations internationales, qui nous a entraînés dans deux guerres mondiales et qui coûte, en ce moment même, la vie à des milliers d’innocents en Syrie et ailleurs, notre devoir est d’opposer le barrage fragile du droit. Accepter l’annexion de la Crimée, ce serait renoncer à tout ce que nous essayons de construire dans cette organisation ; ce serait faire de la Charte des Nations Unies une farce ; ce serait refaire de l’épée l’arbitre suprême des contentieux.

Les Etats-membres, dans leur immense majorité, sauront prouver par leur refus de reconnaître l’annexion de la Crimée, qu’ils savent que l’intégrité territoriale de l’un d’entre eux est le garant de l’intégrité territoriale de tous. Des minorités, il y en a partout à travers le monde, que deviendrions-nous si elles devenaient le prétexte pour n’importe quelle aventure au gré des ambitions d’un voisin entreprenant ? Quelle sera la prochaine Crimée ?

Cette annexion, Mesdames, messieurs, dépasse l’Ukraine ; elle nous concerne tous.

Ce véto ne doit être une défaite que pour la Russie. Il ne doit pas nous entraîner avec lui. Restons fermes dans notre attachement aux principes qu’elle renie. Car ces principes, au cœur de notre Charte, sont notre meilleure défense contre le retour d’un passé d’où sort directement l’agression russe contre l’Ukraine.

Je vous remercie.


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Dernière modification : 26/02/2015

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