Crise syrienne : une menace à la sécurité internationale [en]

Menaces à la paix et à la sécurité internationale : situation au Moyen-Orient - Intervention de M. François Delattre, représentant permanent de la France auprès des Nations unies - Conseil de sécurité – 13 avril 2018

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Monsieur le Président,

Je remercie le Secrétaire général des Nations unies pour son intervention. Nous nous réunissons aujourd’hui afin d’évoquer les menaces à la paix et à la sécurité internationale soulevées par la situation en Syrie, six jours après le nouveau carnage chimique survenu le 7 avril à Douma.

Depuis sept années, la situation en Syrie constitue assurément une menace grave à la paix et à la sécurité internationale au sens de la Charte des Nations unies. Le Conseil de sécurité l’a lui-même caractérisée comme telle de manière unanime, le 27 septembre 2013, jour de l’adoption de la résolution 2118, à la suite des effroyables attaques chimiques - déjà - en Ghouta orientale. Le monde découvrait alors, pour la première fois et dans l’horreur, les symptômes de la mort chimique à grande échelle en Syrie.

Monsieur le Président,

Face à ceux qui souhaitent créer la confusion, allant jusqu’à accuser les populations syriennes de s’être gazées elles-mêmes, face à ceux qui suggèrent un complot, face à ceux qui s’efforcent méthodiquement de déconstruire nos instruments d’action sur le chimique en Syrie, nous devons en revenir à des faits simples.

Oui - la crise syrienne constitue une menace à la sécurité internationale.

Cette menace est liée au recours répété, organisé et systématique aux armes chimiques par le régime de Bachar al Assad, qui a de nouveau franchi un seuil dans l’horreur avec les deux attaques de Douma le 7 avril dernier. Ces attaques ont, comme on le sait, causé la mort de plusieurs dizaines de personnes au moins et en ont blessé des centaines d’autres. Des blessés qui pour beaucoup continueront de souffrir, leur vie durant, de séquelles respiratoires ou neurologiques graves. Il n’existe, une nouvelle fois, aucun doute sur la responsabilité de Damas dans cette attaque. Les éléments recueillis sur place, les symptômes des victimes, la complexité du maniement des substances utilisées, ainsi que la détermination des forces du régime à soumettre le plus vite possible et par tous les moyens les dernières poches de résistance à Douma - tout concorde.

Il s’agit d’un modus operandi parfaitement connu et documenté, puisqu’un mécanisme indépendant créé à l’initiative du Conseil de sécurité a déjà établi, à au moins quatre reprises depuis 2015, l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Damas à Sarmin, à Talmenes, à Qmenas et à Khan Cheikhoun. Un mécanisme d’enquête qu’un membre permanent du Conseil de sécurité a décidé, en novembre dernier, de contraindre au silence.

La politique chimique du régime de Bachar al Assad constitue l’une des violations les plus graves de toutes les normes qui garantissent notre sécurité collective :

-  Violation, premièrement, de toutes les obligations internationales en matière d’interdiction d’emploi des armes chimiques, au titre de la Convention sur l’Interdiction des Armes Chimiques (CIAC), à laquelle la Syrie est partie.

-  Violation, deuxièmement, des fondements mêmes du droit international humanitaire que sont les principes de distinction, de précaution et de proportionnalité.

-  Violation, troisièmement, des résolutions successives du Conseil de sécurité – 2118, 2209, 2235, et par là-même, des obligations qui incombent à la Syrie au titre de la Charte des Nations unies.

-  Enfin, l’emploi d’armes chimiques contre des populations civiles, interdit dès 1925 dans le protocole de Genève, est constitutif de crime de guerre au sens du statut de la Cour Pénale Internationale. Le Secrétaire général des Nations unies avait même qualifié en août 2013 l’usage d’armes chimiques de crime contre l’humanité.
Monsieur le Président,

Cette guerre chimique, c’est l’outil d’accélération d’une politique délibérée de soumission par la terreur qui, en sept années, a causé la mort de 400 000 personnes, la destruction délibérée des infrastructures civiles et de santé dans des régions entières, un exode massif de réfugiés et de déplacés, et qui a fait le lit du terrorisme international. Ce tableau effrayant, c’est celui de l’une des menaces les plus flagrantes à la paix et à la sécurité internationale de l’ère contemporaine. C’est aussi le bilan de ceux qui, envers et contre tout, continuent de le soutenir et de l’appuyer.
Je vais, une nouvelle fois, devoir exprimer une évidence : si la Syrie a continué d’utiliser des substances toxiques à des fins militaires, c’est qu’elle a conservé la capacité de les utiliser et de les fabriquer, en contravention avec ses engagements internationaux, avec les garanties apportées par la Russie dans le cadre de l’accord russo-américain de 2013, et avec les résolutions du Conseil de sécurité.

Il y a déjà plusieurs années que l’OIAC nous a informés des doutes majeurs qui subsistent sur la sincérité de la déclaration initiale de la Syrie à l’organisation en 2013. Une large partie des questions et demandes de documents formulées par l’OIAC sont demeurées sans réponse. La Syrie n’a jamais fourni d’explication satisfaisante à la découverte par les inspecteurs de substances et de capacités que la Syrie n’avait jamais déclarées. Ces capacités, nous les avons de nouveau vues en action le 7 avril, utilisées pour tuer le plus de civils possibles, terroriser les survivants et consolider la reprise définitive de Douma par le régime syrien.

Au-delà de la Syrie, cette situation d’impunité qui dure depuis 2013 affecte l’ensemble du régime de non-prolifération chimique, et avec lui, tout le système de sécurité que nous avons bâti collectivement depuis la Seconde guerre mondiale. C’est ce legs de sécurité collective, bâti pour protéger les générations à venir des déferlements de violence des deux conflits mondiaux, que les membres du Conseil de sécurité ont reçu pour mandat de protéger. Laisser se banaliser sans réagir l’usage des armes chimiques, c’est laisser le génie de la prolifération sortir de sa bouteille. Cela marquerait une terrible régression de l’ordre international, dont nous paierions tous les prix.

Monsieur le Président,

Le Conseil de sécurité, auquel la Charte des Nations unies confie la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale au nom de l’ensemble de la communauté internationale, est donc plus que fondé à se réunir aujourd’hui. Il est plus que fondé à constater, une nouvelle fois, la violation du droit international et de ses propres résolutions, et la persistance d’une menace avérée à la paix et à la sécurité internationales. Il est plus que fondé à rétablir d’urgence un mécanisme d’attribution des responsabilités des attaques chimiques – l’occasion lui en a été donnée en vain, une nouvelle fois, ce mardi avec le projet de résolution proposé par les Etats-Unis.

Il est plus que fondé à faire ce à quoi il s’est engagé, c’est-à-dire prendre des mesures sous chapitre VII de la Charte des Nations unies.

Mais face aux atrocités de masse commises en Syrie, l’action du Conseil de sécurité est, depuis plusieurs années, paralysée par les vetos successifs de la Russie. La Russie a opposé 12 fois son veto sur la Syrie, dont 6 sur le seul volet chimique. Ces vetos n’ont eu d’autre objectif que de protéger le pouvoir syrien : ils lui ont garanti un régime d’impunité, au mépris de l’ensemble des normes internationales. Pour permettre l’indéfendable, la Russie a délibérément choisi de sacrifier la capacité d’agir du Conseil de sécurité, l’outil le plus important de notre sécurité collective. Nous en avons eu encore la preuve mardi dernier.

Le 7 avril, le nom de Douma a rejoint ceux d’Ypres, d’Halabja et de Khan Cheikhoun dans la tragique litanie des massacres chimiques.

Monsieur le Président,

Je veux le dire solennellement ici : en décidant une nouvelle fois de recourir aux armes chimiques, le régime a atteint, ce 7 avril, un point de non-retour. La France prendra ses responsabilités pour mettre fin à une menace intolérable à notre sécurité collective et pour faire enfin respecter le droit international et les dispositions prises, depuis des années, par le Conseil de sécurité.

Une attaque chimique comme celle de Douma, qui consiste à gazer les derniers habitants d’une enclave assiégée alors même qu’elle est sur le point de tomber, alors même que les derniers combattants sont en train de négocier leur reddition, constitue le sommet du cynisme. Voilà où nous en sommes après sept ans de guerre du régime contre son peuple. Voilà la situation à laquelle le monde doit apporter une réponse ferme, unie et résolue. Voilà aujourd’hui quelle est notre responsabilité.

Il sera également essentiel de lutter contre l’impunité de ceux qui sont responsables de l’emploi de telles armes, et plus largement, de ceux qui sont responsables des crimes les plus graves commis en Syrie.

L’engagement de la France en ce sens est entier : c’est le sens du partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques que nous avons initié en janvier dernier. Nous continuerons également de soutenir et d’aider dans leurs travaux tous les mécanismes internationaux chargés d’enquêter sur les crimes les plus graves commis contre les populations civiles en Syrie.

Au-delà de la question chimique, ce sont les violations permanentes du droit international humanitaire qui doivent cesser sans délai. Nous l’avons nous-mêmes exigé en adoptant à l’unanimité la résolution 2401, piétinée dès le lendemain de son adoption par la reprise de bombardements du régime, avec le soutien actif de ses alliés - y compris ceux qui, au sein de ce conseil, avaient souscrit à la trêve. La résolution 2401 n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire : un accès humanitaire entier et sans entrave pour venir en aide aux populations en détresse doit être mis en œuvre sans délai et sur l’ensemble du territoire. Il est indispensable et urgent que des convois humanitaires puissent parvenir en sécurité dans la Ghouta orientale et que la protection des civils fuyant les hostilités ou nécessitant un traitement médicale puisse être assurée.

Enfin, nous ne pourrons résoudre durablement la crise syrienne que dans le cadre d’une solution politique inclusive et sur la base de la pleine mise en œuvre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité. C’est à ces conditions que nous pourrons mettre un terme aux souffrances du peuple syrien, éradiquer le terrorisme et travailler ensemble à la stabilité du Moyen-Orient. Cette solution politique, nous l’appelons de nos vœux depuis sept années : que ceux qui nous rejoignent aujourd’hui pour s’inquiéter des conséquences de la crise syrienne contraignent enfin le régime à accepter une logique de négociation sous l’égide des Nations unies.

Monsieur le Président,

Nous ne pouvons laisser sans réagir les valeurs et les normes les plus fondamentales de notre humanité, telles qu’inspirées par la Charte des Nations unies, bafouées et méprisées au vu et au su de tous. Ces valeurs et ces normes doivent être défendues et protégées. Telle est bien la raison d’être de notre engagement : restaurer l’interdiction absolue des armes chimiques qui est gravée dans le marbre des conventions internationales, et consolider ce faisant la règle de droit. C’est la responsabilité de ceux qui croient, comme la France, à un multilatéralisme efficace, incarné par des Nations unies respectées.

Nous devons arrêter l’escalade chimique syrienne. Nous ne pouvons laisser un pays défier à la fois ce conseil et le droit international. C’est cette capacité laissée à Damas de transgresser toutes nos normes qui constitue une menace à la sécurité internationale. Mettons-y un terme.

Je vous remercie.

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Dernière modification : 09/11/2018

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