Gaza : le silence du Conseil de sécurité est désastreux [en]

Gaza / Vote sur les projets de résolution soumis par le Koweït et les Etats-Unis
Explications de vote de M. François Delattre, représentant permanent de la France auprès des Nations unies
Conseil de sécurité – 1er juin 2018

Explication de vote sur le projet de résolution soumis par le Koweït

Monsieur le Président,

Je voudrais commencer par féliciter la Pologne pour son excellente présidence du Conseil au mois de mai et la Russie pour son accession à la présidence, en lui souhaitant un plein et entier succès.

Monsieur le Président,

Nous regrettons que le Conseil de sécurité n’ait pas été en mesure de s’unir autour d’un texte. Au nom du réalisme et du pragmatisme, et indépendamment même des différences qui peuvent exister entre nous sur le fond, qui peut contester en effet que la gravité de la situation à Gaza, et les risques qui en résultent pour la stabilité régionale, appellent à une expression forte du Conseil de sécurité ? Nous touchons ici au cœur des responsabilités de ce Conseil, tant au titre du rôle que lui reconnaît la Charte en matière de paix et de sécurité, que de son rôle historique sur le conflit israélo-palestinien. C’est ce Conseil qui en a défini, sur plusieurs décennies, les principaux paramètres de résolution – ces mêmes paramètres qui sont désormais fragilisés par les initiatives unilatérales. Si ce Conseil abdique aujourd’hui ses responsabilités, qui les assumera ?

Après deux mois marqués par un bilan de près de 120 morts et 4 000 blessés par balles, et alors que le risque d’escalade n’a jamais été aussi élevé depuis 2014 à Gaza, comme l’ont montré les dizaines de roquettes tirées depuis Gaza sur le territoire israélien au cours des derniers jours, ce Conseil demeure silencieux. Le lourd silence de ce Conseil est de plus en plus assourdissant.
Ce silence n’est ni acceptable, ni même compréhensible. Il n’est pas acceptable pour les populations palestinienne et israélienne, premières victimes du conflit ; il n’est pas compréhensible pour le monde qui nous regarde et jugera sévèrement notre inaction face au risque d’un nouveau conflit au Moyen-Orient ; il est désastreux enfin pour la crédibilité même de ce Conseil et, plus largement, du multilatéralisme auquel, pour ce qui nous concerne, nous croyons plus que jamais.

Nous étions disposés à nous engager dans une discussion constructive sur tous les projets de texte présentés aux membres de ce Conseil au cours des derniers mois, sans exception. Nous pouvions avoir des difficultés avec tel ou tel texte mais, précisément, nous croyons à la possibilité de surmonter ces difficultés par la discussion, nous croyons à la possibilité de bâtir de manière patiente et pragmatique le consensus. Après tout c’est le cœur même de nos responsabilités aux termes de la Charte.

Une nouvelle occasion nous était donnée de sortir de ce silence en nous engageant dans la discussion du projet de résolution présenté par le Koweït. Le texte initialement présenté soulevait des difficultés. Nous nous sommes, avec d’autres membres de ce Conseil, engagés dans une discussion exigeante pour l’améliorer sensiblement. C’était, d’emblée, la condition que nous avions mise pour pouvoir apporter notre soutien à ce texte. Le texte final n’est certes pas parfait. Nous aurions par exemple souhaité qu’il établisse clairement la responsabilité du Hamas et qu’il condamne explicitement les tirs de roquettes contre Israël. Mais les consultations approfondies des deux dernières semaines ont conduit à des améliorations importantes.

Le texte auquel nous avons apporté notre soutien aujourd’hui répond à une situation où, de manière répétée au cours des dernières semaines, et en particulier au cours de la journée du 14 mai, au cours de laquelle plus de 60 personnes ont perdu la vie, nous avons assisté à un usage disproportionné et indiscriminé de la force. Ce texte déplore cette situation et appelle à ce que le droit à manifester pacifiquement soit respecté. Il appelle aussi à ce que des mesures de protection soient prises dans les territoires palestiniens, et en particulier à Gaza, et demande au Secrétaire général un rapport dans les deux mois sur le sujet.

Mais le texte sur lequel nous venons de nous prononcer ne s’arrête pas là et répond, au moins en partie, aux préoccupations que nous avons fait valoir.

A titre d’exemple :

- ce texte condamne tous les actes de violence, contre tous les civils, y compris les actes de terrorisme ;
- il appelle toutes les parties à respecter le droit international humanitaire et les droits de l’homme ;
- il déplore toute action susceptible de mettre en danger la vie des civils et appelle tous les acteurs à s’assurer que les manifestations demeurent pacifiques ;
- il ne fait plus l’impasse sur les tirs de roquettes visant les civils sur le territoire israélien ;
- il rappelle enfin que la levée du blocus à Gaza, qui est une nécessité, doit se faire dans le respect des préoccupations de sécurité de tous. Et, comme vous le savez, la France ne transigera jamais avec la sécurité d’Israël.

Le texte encourage enfin à des initiatives visant à améliorer à long terme la situation humanitaire à Gaza, conformément aux propositions du Coordinateur spécial des Nations Unies Nikolay Mladenov et à des progrès tangibles dans le domaine de la réconciliation inter-palestinienne. Il se termine sur un appel à une relance du processus de paix, en vue d’un accord entre les parties dans le cadre de la solution des deux Etats.

L’ensemble de ces éléments, comme notre volonté de permettre au Conseil de sécurité d’assumer ses responsabilités, nous ont conduits à voter en faveur de ce texte. Le sens de notre travail, la vocation même qui est la nôtre, la vocation même de ce Conseil est de travailler à parvenir à une compréhension et une réaction communes aux menaces à la paix et à la sécurité. Nous appelons, une fois de plus, chacun à s’engager dans cette voie, de bonne foi et avec obstination. Il en va de la crédibilité de ce Conseil et de notre action collective. Je vous remercie.

***
Explication de vote sur le projet de résolution soumis par les Etats-Unis

Monsieur le Président,

Nous regrettons d’avoir eu à nous abstenir sur le projet présenté par les Etats-Unis. Cette décision répond d’abord à des considérations de méthode, ce projet ayant étant mis au vote immédiatement, sans négociations préalables.

Elle répond aussi à des considérations de fond : le texte proposé ne reflète pas une approche équilibrée et impartiale du conflit israélo-palestinien, inscrite dans le cadre des paramètres internationaux agréés, du droit international, et des résolutions de ce Conseil.

Parmi les causes de la crise traversée par Gaza, le texte présenté n’en retient qu’une et n’offre pas de réponse et ni solution au drame que vivent les populations civiles palestinienne et israélienne.

Cela étant dit, Monsieur le Président, nous partageons la préoccupation exprimée par le texte proposé quant à l’activité du Hamas et d’autres groupes armés dans la bande de Gaza. Nous avons condamné fermement les tirs qui ont visé le territoire israélien le 29 mai et aurions souhaité que le Conseil de sécurité les condamne également.

Plus largement, la France était prête à soutenir plusieurs des paragraphes du projet présenté par les Etats-Unis, à commencer par ceux qui condamnent les tirs de roquettes depuis gaza, qui appellent le Hamas à s’abstenir de toutes actions violentes, en particulier lorsqu’elles visent les civils, ou encore qui exigent que le Hamas cesse par ses actions de mettre en danger les populations civiles à proximité de la barrière de séparation entre Israël et Gaza. Je pourrais prendre d’autres exemples.

Mais nous considérons, comme nous l’avons déjà souligné à propos d’autres projets de texte, que la responsabilité de ce Conseil est de répondre à la crise que connaît Gaza dans sa globalité – ce que ne fait pas le texte que nous avons sous les yeux.

Monsieur le Président,

Malgré les désaccords que je viens de mentionner sur l’équilibre général des amendements présentés, nous étions prêts, une fois de plus, à nous engager dans une discussion constructive visant à faire valoir nos vues et, si possible, à parvenir à un texte unique que nous aurions été à même de voter. Mais les raisons de méthode et de fond que j’ai expliquées à l’instant ne nous ont pas laissé d’autre choix que l’abstention.

Au total, Monsieur le Président, cette session est une nouvelle occasion manquée pour ce Conseil. Nous le regrettons bien sûr. Mais vous pouvez compter sur la France, qui est l’amie des Israéliens comme des Palestiniens, pour ne pas - pour ne jamais - baisser les bras. Je vous remercie.

Dernière modification : 27/12/2018

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