L’annexion illégale de la Crimée a des conséquences sur la sécurité internationale
« L’occupation russe de la Crimée : le rôle et les limites du Conseil de sécurité des Nations Unies et des bons offices du Secrétaire général des Nations unies afin de trouver une solution aux violations de la charte des Nations unies et du droit international »
Intervention de M. François Delattre, représentant permanent de la France auprès des Nations unies
Réunion du Conseil de sécurité en format Arria – 15 mars 2018
Madame la Ministre, Chers amis,
Dans le prolongement de la réunion d’hier et de la déclaration conjointe d’aujourd’hui du Président Macron et de ses homologues, je souhaiterais rappeler notre totale solidarité avec notre ami et allié britannique après l’attaque inacceptable à l’arme chimique, une arme d’un type développé par la Russie, survenue à Salisbury le 4 mars. Le Président Macron a de nouveau assuré ce matin la Première Ministre britannique de notre plein soutien. C’est notre sécurité à tous qui est menacée par cette atteinte à la souveraineté britannique et cette violation de la convention pour l’interdiction des armes chimiques.
Nous nous réunissons aujourd’hui sur la Crimée, et je remercie les Pays-Bas, la Pologne, la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis pour l’organisation de cette réunion importante, quatre ans après l’annexion illégale de ce territoire et de Sébastopol par la Russie. Je tiens à saluer également la qualité du panel qui a été convié aujourd’hui.
Nous constatons que la situation en Ukraine remet en cause les règles et principes tirés des deux conflits mondiaux qui ont déchiré le continent européen en l’espace d’une génération. Le premier de ces principes fondamentaux pour garantir la paix et la sécurité internationales, inscrit dans la Charte des Nations Unies, mérite d’être rappelé : nul ne saurait faire usage de la force pour remettre en cause l’intégrité territoriale d’un État membre des Nations Unies et s’approprier une portion de son territoire.
Il nous appartient, à nous communauté internationale, et au Conseil de sécurité en particulier, de ne jamais laisser s’installer le doute sur notre détermination à défendre cette règle fondamentale.
Je souhaiterais au cours de mon intervention revenir brièvement sur trois points : le premier sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, le second sur l’impact sur les droits de l’Homme, dont il a été fait état avec beaucoup d’éloquence, et je terminerai sur notre action aux Nations Unies.
1/ Je souhaite d’abord revenir sur la question de la remise en cause des frontières. Nous ne pouvons pas sous-estimer les conséquences de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie sur la sécurité internationale. Cette annexion illégale, que ni la France ni l’Union européenne ne reconnaissent, porte directement atteinte à l’unité et à la souveraineté d’un État membre des Nations Unies et sape les efforts de l’ONU, en particulier du Conseil de sécurité, pour faire respecter le droit international. Cette violation flagrante du droit international ne peut rester sans réponse, faute de quoi, au lieu de relations internationales fondées sur le droit, la communauté internationale retomberait dans un rapport de force destructeur fondé sur la violence. C’est cela qui est en jeu.
C’est la raison pour laquelle, depuis le début de la crise ukrainienne, la France n’a cessé de réaffirmer son attachement au plein rétablissement de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues. C’est aussi la raison pour laquelle la France et l’Allemagne ont déployé tant d’efforts dans le cadre du format Normandie pour trouver une solution politique durable au conflit qui déchire l’est de l’Ukraine et pour la mise en œuvre des accords de Minsk.
2/ Le deuxième point sur lequel je souhaite insister représente une clé de voûte de la paix et de la sécurité internationale : je veux parler des droits de l’Homme. Nous observons depuis quatre ans une détérioration de la situation des droits de l’Homme en Crimée, affectant notamment les personnes appartenant à des minorités mais aussi les journalistes, les défenseurs des droits et toutes les personnes politiquement engagées contre l’occupation russe. Ces violations doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et approfondies et les responsables devront être traduits en justice. Nous appelons à la libération de tous les otages, des personnes détenues illégalement et de celles qui ont été transférées ou expulsées de la Crimée vers la Russie. Je voudrais insister sur la condition réservée au Tatars, car elle est emblématique, et remercier encore Madame Bakkalli pour sa présentation très puissante. La ségrégation de la minorité tatare a été « normalisée », en instrumentalisant le droit à la citoyenneté à des fins politiques. Au-delà, c’est tout le cadre législatif imposé par la Russie, notamment le code pénal, qui pèse directement sur les droits de l’Homme en Crimée. Ces violations sont la conséquence sans équivoque de l’annexion de la Crimée par la Russie en violation du droit international et en particulier de la résolution 68/262. C’est pourquoi il est essentiel pour ce Conseil d’avoir accès à l’information sur la situation des droits de l’Homme dans l’ensemble du territoire ukrainien, y compris en Crimée et à Sébastopol.
En vertu des résolutions 71/205 et 72/190 adoptées par l’Assemblée générale, la France appelle vigoureusement les autorités de facto à ne pas entraver le travail des mécanismes internationaux de protection des droits de l’Homme et notamment de la mission conjointe de l’OSCE et du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme et à faciliter leur accès en Crimée et à Sébastopol. Il en va de la fiabilité des informations dont ce Conseil peut disposer.
3/ Je terminerai enfin sur l’action des Nations Unies.
La France appelle à une condamnation ferme de l’usage de la force en vue de remettre en cause les frontières internationalement reconnues. Chaque violation de ce principe le fragilise et appelle donc une réaction déterminée de notre part.
Nous encourageons tous les Etats membres des Nations Unies à soutenir la résolution de l’Assemblée générale sur la « situation des droits de l’Homme dans la république autonome de Crimée et dans la ville de Sébastopol en Ukraine ». Cette résolution manifeste notre volonté commune de ne pas rester indifférents à l’égard de la situation en Crimée et à Sébastopol ; elle doit être mise en œuvre.
Les Nations Unies doivent également soutenir les efforts des organisations régionales et des Etats engagés en vue d’apporter une solution à la crise ukrainienne. Je pense en particulier à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), à l’Union européenne, mais aussi au format Normandie, dont j’ai parlé, pour la question spécifique du conflit à l’est de l’Ukraine.
Je conclurai cette brève intervention en rappelant l’enjeu de cette crise. Manifester son attachement à l’intégrité territoriale de l’Ukraine revient à défendre la légitimité et la crédibilité du droit international. Depuis plus de 70 ans, cet objectif est - et restera - au cœur de notre action aux Nations Unies. Je vous remercie.