Conflits au Moyen Orient : une solution multilatérale par le dialogue [en]
Moyen-Orient
Intervention de Mme Anne Gueguen, représentante permanente adjointe de la France auprès des Nations unies, Chargée d’Affaires a.i.
Conseil de sécurité - 20 août 2019
Monsieur le Président,
Merci d’avoir organisé ce débat qui nous permet d’aborder l’ensemble des enjeux relatifs au Moyen-Orient, dans un esprit de dialogue. Parce que les conflits de la région ont des racines communes et sont liés entre eux, cette approche transversale est pertinente, en complément des points inscrits à l’agenda de ce Conseil. Je salue la participation du secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Monsieur Pompeo, et je souscris pleinement à l’analyse brillante présentée par le secrétaire d’Etat allemand, Monsieur Michaelis. Je m’associe également au discours qui sera prononcé par le chargé d’affaires de la délégation de l’Union européenne.
Monsieur le Président,
I/ Dans un premier temps, je voudrais revenir sur l’ampleur des défis auxquels la région est confrontée.
Je pense d’abord aux enjeux de sécurité avec la persistance de la menace terroriste, en dépit de la victoire territoriale sur Daech en Syrie et en Irak. Au-delà de la réponse militaire, le défi de la radicalisation violente ne sera pas résolu sans la mise en place de solutions politiques inclusives, accompagnées d’un effort accru pour la stabilisation des territoires libérés et pour la reconstruction, là où les conditions politiques sont réunies. La France continuera, d’autre part, à se mobiliser en vue d’assécher les sources de financement du terrorisme, conformément à la résolution 2462 adoptée au mois de en mars dernier.
Monsieur le Président,
La prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs vers des acteurs étatiques et non-étatiques représente une menace pour tous, à laquelle nous devons apporter des réponses collectives. Je veux ici réaffirmer notre vigilance quant au respect de l’interdiction du recours aux armes chimiques, alors que le régime syrien, mais aussi Daech, les ont utilisées. La France réaffirme aussi son plein attachement au Plan d’action global commun (le JCPOA). Il n’existe pas aujourd’hui d’alternative pour empêcher la prolifération nucléaire en Iran. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, nous regrettons le retrait américain de l’accord. Le reste des participants, dont la France, reste déterminés à préserver le JCPOA et continue de se conformer à leurs engagements. Nous sommes extrêmement préoccupés par les mesures récemment prises par l’Iran en contradiction avec ses obligations au titre de l’accord. Aucune disposition juridique n’autorise le non-respect d’une partie de ses engagements. C’est pourquoi nous devons tous œuvrer pour préserver cet accord et aboutir au retour de l’Iran en pleine conformité avec ses obligations. La France reste résolument engagée en ce sens, en lien avec ses partenaires.
Au-delà, nous devons bâtir ensemble une stratégie de long terme, qui ne peut se réduire à une politique de pression, de sanction, et de « containment » : seule une approche globale permettra de résoudre les différentes questions en suspens sur le nucléaire après 2025-2030, sur la poursuite des activités balistiques de l’Iran et sur la stabilité régionale.
Monsieur le Président,
Je pense en second lieu aux défis politiques auxquels est confrontée la région, en proie à des conflits qui mettent en péril sa stabilité et dont les populations civiles sont les premières victimes. Nous le voyons en Syrie et au Yémen, où les violations du droit international humanitaire sont quotidiennes. L’intensification des bombardements syrien et russe à Idlib est à ce titre particulièrement préoccupante. Je réitère à cet égard l’appel de la France à une cessation immédiate des hostilités et à la pleine mise en œuvre de l’accord de Sotchi conclu entre la Russie et la Turquie. La France, comme l’Allemagne, pense que la coordination du small group et du groupe d’Astana serait de nature à faciliter les progrès. Au Yémen, il faut assurer un accès humanitaire rapide, complet et sans entrave à toutes les populations et mettre en œuvre les accords de Stockholm. Au-delà, c’est bien d’une reprise urgente du dialogue politique, sans préalable, dont le Yémen a besoin.
Monsieur le Président,
II/ Dans ce contexte, au-delà de la réponse d’urgence aux crises, nous devons travailler à la mise en place de solutions politiques pluralistes et inclusives, garantes de la stabilité de la région sur le long terme.
La priorité doit aller à la prévention de nouveaux conflits et à la désescalade par le dialogue. Cet impératif prend tout son sens à l’aune des tensions actuelles dans le Golfe. Nous devons travailler dans ce contexte, avec les Etats de la région qui sont en première ligne, avec nos partenaires internationaux et dans le cadre des organisations multilatérales concernées, à la mise en place d’un dialogue inclusif et équilibré et, à plus long terme, de mesures de confiance, qui garantissent notamment la liberté de navigation dans les détroits.
Nous devons également promouvoir la mise en place de solutions politiques inclusives sous l’égide des Nations unies. Nous devons œuvrer au renforcement d’institutions étatiques, fortes mais respectueuses de l’Etat de droit et des droits de l’Homme, protectrices des libertés et de toutes les composantes des sociétés plurielles du Moyen-Orient. Je souhaite à cet égard encourager les autorités irakiennes à poursuivre leurs efforts en vue de la reconstruction des zones libérées de Daech et la réconciliation de tous les Irakiens. En Syrie, seule une solution politique crédible sera à même de réduire le potentiel déstabilisateur de la crise et de permettre une paix durable.
Les femmes doivent participer pleinement aux processus de paix et à la mise en œuvre de ces solutions politiques : c’est un impératif moral et une chance supplémentaire de maintenir la paix et la sécurité.
Monsieur le Président,
III/ Enfin, je voudrais réitérer l’attachement de la France au multilatéralisme et au rôle des Nations unies, ainsi qu’au respect du droit international.
Toute décision unilatérale qui s’écarte du droit international fragilise considérablement l’ordre fondé sur la légalité internationale, et compromet la capacité collective à faire aboutir les processus de paix. Je souhaite à ce titre rappeler qu’une paix durable entre Israéliens et Palestiniens ne pourra être assurée qu’à travers une solution juste et équilibrée, reposant sur l’établissement de deux États vivant côte à côte en sécurité, dans des frontières reconnues, et ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale, conformément aux paramètres internationalement agréés et aux résolutions de ce Conseil. C’est également dans ce cadre que s’inscrit notre soutien à l’UNRWA, dont l’action en faveur des réfugiés palestiniens est essentielle pour la stabilité régionale.
Monsieur le Président,
Ce Conseil a un rôle essentiel à jouer, parce qu’il est le premier garant du respect du droit international. Il lui appartient entre autres d’appeler dans les conflits l’ensemble des belligérants au respect du droit applicable, notamment le droit international humanitaire et les droits de l’Homme, et d’apporter un appui unanime aux efforts des Nations unies, notamment à travers le soutien de ce Conseil aux envoyés et représentants du Secrétaire général.
Enfin, la France continuera de défendre le multilatéralisme, comme méthode pour garantir et maintenir la paix et la sécurité internationales. C’est sa remise en cause qui fragilise aujourd’hui notre sécurité, s’agissant en particulier des institutions, des mécanismes et des instruments internationaux en matière de lutte contre l’impunité et de non-prolifération.
Monsieur le Président,
La France n’entend renoncer ni à ses principes, ni à son engagement en réponse aux crises du Moyen-Orient, ni à sa volonté de voir ce Conseil jouer un plus grand rôle face à celles-ci.
Le Moyen-Orient est une région traumatisée, avec trop de pays en cendres et de sociétés brisées par le fléau de la guerre, dont notre organisation a pourtant pour vocation première de nous préserver. Les habitants de la région aspirent à vivre en paix et en sécurité. Ceci implique que nous apprenions les leçons du passé et, surtout, que nous n’en répétions pas les erreurs. L’urgence est de sortir de la violence destructrice. Nous le pouvons si, lucides sur les dynamiques de compétition et de rapports de force entre puissances qui sont à l’œuvre, nous cherchons des solutions collaboratives et justes, et mettons en œuvre une politique d’équilibre et de dialogue afin que les pays et les peuples de la région trouvent leurs points d’intérêt mutuel, définissent les modalités d’un bon voisinage durable, et optent pour une pratique non-violente et pluraliste du pouvoir. Cela commence par le respect et la mise en œuvre de toutes les résolutions pertinentes de notre Conseil.
Je vous remercie.